La nouvelle n’aura été l’objet que de quelques malheureuses lignes sur les sites d’information, plus affairés à esquisser la composition du nouveau gouvernement ou à trouver de nouveaux péchés à ajouter à la liste de l’Abbé Pierre. Après tout, l’époque n’est plus à la célébration du passé, encore moins lorsque celui-ci fut brillant, ni à la culture générale, dont l’acquisition nécessite curiosité et effort. « Joachim qui ? », entendrait-on presque marmonner Sébastien Delogu. Et pourtant, la découverte probable de la tombe de Joachim Du Bellay est un plaisir de fin cultivé.
Le poète reposait donc depuis presque un demi-millénaire, dans un cercueil fait de plomb, sous la croisée du transept de Notre-Dame, cathédrale qui ne cessera jamais de révéler ses secrets. Pendant quatre siècles, nombre d’hommes d’églises et quelques illustres inconnus y furent enterrés. Avouons qu’il y a repos éternel plus désagréable : malheureux, Richard III, dont le squelette fut retrouvé dans le sous-sol d’un parking de Leicester, dans le centre de la pluvieuse Angleterre ; malheureux aussi les hommes et femmes célèbres enterrés dans des cimetières devenus des lieux touristiques ; malheureux, enfin, la plupart d’entre nous, dont les cendres seront répandues sur les pelouses de crématoriums.
La découverte de Du Bellay aurait dû être l’occasion de célébrer et de redécouvrir le fondateur, avec Pierre Ronsard, de la Pléiade, et auteur des Regrets, dont le poème inspiré par le héros de l’Odyssée : « Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage ». La courte élégie évoque le déchirement entre le voyage et le village, le « marbre dur » et l’ « ardoise fine », l’exil et le retour. Y a-t-il d’ailleurs, dans la langue française, un « hélas » plus essentiel et plus chargé de mélancolie que celui qui apparaît dans la deuxième strophe : « Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village, Fumer la cheminée, et en quelle saison, Reverrai-je le clos de ma pauvre maison ? »Le lettré angevin est
également l’auteur de La Défense et illustration de la langue française,
qui eut pour vocation d’asseoir définitivement le français quelques années après
la promulgation, par François Ier, de l’Ordonnance de Villers-Cotterêts qui l’imposa
dans les usages de l’administration. Mais un idiome ne pourrait s’imposer sur une
base seulement juridique. Et Du Bellay s’escrima donc à élever en noblesse une
langue qui n’était alors pas encore celle de Molière. Si l’on a retrouvé sa
tombe, il doit pourtant aujourd’hui s’y retourner bien des fois, en entendant le
français si souvent malmené, maltraité, bafoué à coups d’anglicismes, de
barbarismes ou d’absurdités postmodernes.
Dans Les antiquités de
Rome, petit chef-d’œuvre pour celui qui prend la peine de s’y plonger, Joachim
du Bellay, songe au sort d’une civilisation réduite en ruines, comme le feront tant
d’auteurs des siècles qui adviendraient. On y retrouve, prise au hasard de la
lecture, cette strophe : « Tant que l'oiseau de Jupiter vola, Portant
le feu dont le ciel nous menace, Le ciel n'eut peur de l'effroyable audace. Qui
des Géants le courage affola ». ll n’est guère besoin de préciser que le
Jupiter dont il est question n’est évidemment pas celui qui entreprend aujourd’hui,
par vanité, de changer les vitraux de Notre-Dame.
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