Des droits, encore des droits, toujours des droits, rien que des droits. L’homme moderne sait que leur champ d’application est désormais infini. Le droit à bénéficier d’allocations diverses. Le droit au mariage pour tous et à l’adoption. Le droit opposable au logement. Le droit de jouir sans entraves. Le droit de souiller le drapeau national. Le droit de ne rien faire. A ne plus célébrer qu’eux, au détriment des devoirs, ravalés au rang de vilain mot de la langue de Molière, se crée un déséquilibre sapant les fondements de la société.
Au
sortir de la seconde guerre mondiale, qui avait vu l’homme porter la barbarie à
son acmé, la déclaration universelle des Droits de l’Homme, signée en grande
pompe dans les couloirs du palais de Chaillot en 1948, symbolisait une avancée heureuse
dans le combat intemporel pour la dignité humaine. Elle aura eu pour
contrepartie l’entrée progressive dans une ère nouvelle pour l’homme qui allait
également signifier son désarmement moral. Celui-ci a eu pour corolaire l’assistanat
généralisé, l’ignorance assumée, l’abandon des rôles sociaux (hommes-femmes,
parents-enfants, citoyens…), la culture de l’excuse, le passage de
l’immoralisme (et de la transgression plus ou moins tolérée) à l’amoralisme
(absence de toute morale), le renversement des normes et des hiérarchies, le rejet
de tout référent (nation, famille…) et par dessus tout la déresponsabilisation
individuelle et collective.
Hegel
avait pourtant adressé une mise en garde, ayant tout de la vertu prophétique,
deux siècles plus tôt, dans sa Propédeutique
philosophique : « Dans la mesure où l'homme allègue qu'il a été
entraîné par des circonstances et des excitations, il entend par là rejeter,
pour ainsi dire, hors de lui-même sa propre conduite, mais ainsi il se réduit
tout simplement à l'état d'être non libre ou naturel, alors que sa conduite, en
vérité, est toujours sienne, non celle d'un autre ni l'effet de quelque chose
qui existe hors de lui. Les circonstances ou mobiles n'ont jamais sur l'homme
que le pouvoir qu'il leur accorde lui-même. »
Les
politiques progressistes menées depuis plusieurs décennies ont fini par diluer
la responsabilité individuelle et permettre ainsi de justifier toute errance
individuelle –du simple renoncement à prendre son destin en mains à l’acte le
plus délictueux- au nom de la société corruptrice. Il en découle que le contrat
social, théorisé peu après le mitan du XVIIIe siècle par Jean-Jacques Rousseau,
a perdu de sa symbolique pour finir par tomber en désuétude : non
seulement il n’est plus d’hommes libres pour le réaffirmer, mais ils sont de
plus en plus nombreux à s’écarter du sacro-saint contrat. A l’heure où les
incivilités sont ordinaires et où l’on peut cracher aussi bien son chewing-gum
dans la rue que son ignorance dans un débat, sans crainte d’être sanctionné ou de
passer par un idiot, le sursaut civilisationnel est indispensable.
Dans
Paris et Rome, Victor Hugo écrivait
brillamment que « tout ce qui augmente la liberté augmente la
responsabilité ». Le problème survient lorsque, comme aujourd’hui, tout ce
qui va dans le sens de la libéralisation tend à déresponsabiliser, signe que le
mouvement perpétuel de balancier entre les droits et les devoirs a fini par se
figer du côté des premiers. La récréation collective, entamée en 1968 sur les
barricades du Quartier latin, et poursuivie un an plus tard au cours de la
grand-messe de Woodstock, dans les volutes de marijuana, doit aujourd’hui entendre
sonner sa fin. Sans un retour à l’ordre –car lui, et lui seul garantit in fine la liberté, selon Charles
Péguy-, nos sociétés finiront par s’effondrer dans le chaos et la soumission.
Les
Etats devront initier le mouvement de rééquilibrage. Le défi est de taille alors
qu’ils ont, jusqu’à présent, renoncé à défendre leurs frontières morales autant
que territoriales et laissent par ce simple abandon germer en leur sein les
ferments de la dissolution qui les mènera à la faillite spirituelle. Contraints
d’agir sur les ruines d’une civilisation décadente, ils devront réarmer
moralement les citoyens en promouvant une éducation nivelant par le haut –un
élitisme populaire et promouvant l’Intelligence-, instaurer de nouvelles
balises, redonner goût au patriotisme, mettre fin aux politiques encourageant
l’assistanat, abandonner leurs velléités permissives, cesser toute politique
sapant les valeurs multiséculaires autour desquelles les individus libres
peuvent communier.
« C’est
le devoir qui crée le droit et non le droit qui crée le devoir », jugeait
Chateaubriand. Et si l’on se met à rêver de l’écriture hypothétique d’une déclaration
des devoirs du citoyen, la remise de ces derniers au cœur du débat est le
préalable indispensable au réarmement moral qui, seul, finira par sortir nos
pays et, partant de là notre civilisation, de l’ornière dans laquelle ils se
trouvent. Les individus redevenus libres pourront, à cette unique condition,
réaffirmer le contrat social qui les unit et, ensemble, bâtir une société
prospère.
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