La
littérature a pendant des siècles su incarner et sublimer son époque. Elle est
aujourd’hui en capilotade, à la recherche de talents, d’un public, de querelles
intestines, de salons, de mouvements. En un mot, d’identité. Dans le
déferlement en pente déclinante des siècles, nous sommes passés de Chateaubriand
à Amélie Nothomb, d’Eugénie Grandet, héroïne d’Honoré de Balzac, à Lauren
Kline, personnage de Marc Lévy, du salon de Germaine de Staël au plateau télévisé
de Laurent Ruquier, des funérailles nationales offertes à Victor Hugo à
l’enterrement dans l’anonymat des derniers grands écrivains et, avec eux, du
noble art littéraire.
Guillaume Musso versus Marc Lévy : l’opposition
stérile et montée de toutes pièces entre deux écrivains populaires qu’en
réalité rien n’oppose est la version moderne des clivages qui ont autrefois
secoué la littérature. La querelle des Anciens et des Modernes divisa, autour
de Boileau (auteur des Satires) et de
Perrault (Contes de ma mère l’Oye),
les tenants du retour systématique à l’Antiquité comme période indépassable aux
partisans de la nouveauté et des thématiques contemporaines. A la même époque,
l’Affaire des Sonnets opposa, par textes interposés, les thuriféraires et les
contempteurs de Racine. Plus récemment, l’opposition entre Tolstoï et
Dostoïevski fit écrire au génial Georges Steiner : « En demandant à
un homme - ou à une femme - s'il préfère Tolstoï ou Dostoïevski, on peut
connaître le secret de son cœur ». Les cœurs ne sont désormais enclins à se
laisser irriguer par le sang des révoltes, mais par une eau de rose forcément
tiède.
Quand ils ont davantage
d’ambition que de s’adresser à la ménagère de moins de cinquante ans –terme
utilisé ici sans connotation de valeur-, les écrivains actuels trempent leur
plume dans l’encre bleu azur des océans pour calligraphier leurs lettres
éparses, trouvent leur inspiration perdue dans les quartiers paumés de Tokyo,
campent des héros qui sont leur décalque à Singapour ou à New York, et, parce
que l’amour est la denrée qui leur est la plus accessible, leur font échanger
des baisers langoureux à Tombouctou ou au Caire, les font se séparer à
Johannesbourg ou à Buenos Aires pour les faire se retrouver à Montréal ou à
Sidney. Les personnages mangent bio et font de l’ikebana, vivent dans des
appartements avec vue imprenable sur la ville, sont journalistes ou éditeurs,
participent à des défilés de mode où des mannequins étiques se parent de robes
en chocolat, trimbalent leur silhouette patibulaire et traînent leur spleen dans des ruelles désertes à
l’autre bout de la planète.
Dans le même temps, le peuple, au
sein duquel ces nouveaux itinérants peinent encore à trouver des lecteurs, vit
dans un triangle géographique qui ne s’étend pas de Paris à Tokyo en passant
par les aéroports où ils font une rapide escale, mais de leur lieu travail à
leur domicile en empruntant les stations de métro dont ils dévalent les
escalators. Les gens modestes vivent dans cette zone confinée et enracinée
leurs histoires d’amour et leurs plans cul passionnés et déchus, se gavent
parfois de malbouffe, ne quittent leur pays que pour jouir de vacances à bas
prix, sont ouvriers ou employés, vont au ciné s’abreuver de grosses productions
américaines ou au café pour y vider quelques calices d’or jaune, vivent dans
des immeubles donnant sur l’immeuble lui faisant face, et traînent leur misère
dans les rues polluées par la modernité.
C’est avec cette
« ancre » de la vie que des grands écrivains accouchent les plus
grands romans. Dans La Comédie Humaine,
déclinée en une nonantaine de chefs-d’oeuvre littéraires et autant de
personnages -Rastignac, le Père Goriot, Lucien de Rubempré-, Honoré de Balzac
avait su décrire les mœurs de l’époque. Avec les Rougon-Macquart, Emile Zola
avait su faire triompher le naturalisme. Les mouvements littéraires ont de tout
temps su imposer leur patte sur la société : la Pléïade autour des
indissociables Ronsard et du Bellay, le romantisme, le symbolisme, le roman
populiste qui mit le peuple au centre de ses attentions. Il y a belle lurette
qu’on n’a plus vu émerger un mouvement digne de ce nom. Avec leur rhétorique
tranchante (« à chaque phrase, il y a mort d’homme »), leur prose
ciselée et leur littérature sur le fil du rasoir, les Hussards, dont la plume
trempait dans l’anarchisme de droite, ont fermé le bal. L’ère du nouveau roman
et du déclin était amorcée.
Autour de François de Malherbe
pour le premier d’entre eux, puis de Catherine de Rambouillet, ensuite de
Conrart, mais aussi de femmes, comme Madame Geoffrin ou Récamier, les salons
littéraires réunissaient les fins lettrés qui, en même temps que leur
mondanisme, réaffirmaient leur volonté de faire triompher les belles lettres
par-delà les divergences. On ne se réunit plus aujourd’hui autour de la
littérature : même les émissions littéraires des dernières décennies ont
été reléguées sur les chaînes de télévision les moins regardées.
Sans surprise, il y a longtemps que l’on n’a plus vu un écrivain décrire le réel avec talent. Un ver de Racine est davantage chargé en émotions que toute l’œuvre de certains romanciers actuels. On ne saurait trop conseiller aux écorchés vifs, aux cœurs brisés et aux déprimés de se plonger dans Andromaque, Phèdre ou Britannicus, autant d’œuvres qui comportent dans leur génie intemporel toutes les interrogations auxquelles sont confrontés et seront soumis toutes les générations actuelles et futures.
Sans surprise, il y a longtemps que l’on n’a plus vu un écrivain décrire le réel avec talent. Un ver de Racine est davantage chargé en émotions que toute l’œuvre de certains romanciers actuels. On ne saurait trop conseiller aux écorchés vifs, aux cœurs brisés et aux déprimés de se plonger dans Andromaque, Phèdre ou Britannicus, autant d’œuvres qui comportent dans leur génie intemporel toutes les interrogations auxquelles sont confrontés et seront soumis toutes les générations actuelles et futures.
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