Vous
ne savez jamais avec précision quand la grande faucheuse viendra frapper votre
nuque de son couperet glacial.
A
propos de ce jour dont j'ignore la date mais que j'espère lointain, je nourris
l’espoir, sans doute aussi vain que celui de gagner à la loterie, qu'il survienne
un 9 novembre.
Le
tapis de feuilles jaunies qui recouvrent alors les cimetières y est encore
parsemé des chrysanthèmes déposés sur les tombes quelques jours auparavant, en
plein cœur d'un automne qui file, tambour battant, vers l'hiver. La vie, comme
la lumière, recule inexorablement vers les tréfonds de la mort, se vide de son
éclat, décline.
Le
9 novembre a vu arraché au monde des vivants l’indéracinable général de Gaulle,
ce vieux chêne comme l’appelait Malraux, et l’inimitable Yves Montand, qui
faisait virevolter les feuilles mortes dans une douce mélodie. Tous deux
trônent dans mon panthéon personnel. Ils gisent dans ma crypte secrète. Me
recueillir sur leur tombe respective, à Colombey-les-deux-Eglises et au Père
Lachaise, m’a toujours empli d’émotion.
Le premier, par son action, son courage, sa prestance, inspire chaque jour mon combat politique contre les renoncements, les lâchetés et les bassesses, pour la grandeur, l’exigence et l’ambition. Le second est mon acteur préféré, magnifique dans des registres variés, de L’aveu à Manon des sources, et un chanteur hors pair, émouvant quand il chemine à Bicyclette avec Fernand, Firmin, Francis et Sébastien, et puis Paulette, ou fredonne ses Trois petites notes de musique.
Le
premier était un patriote, guidé par « une certaine idée de la
France » qu’il ne pouvait souffrir de voir s’envoler, telle une feuille
morte, dans les vents contraires de la mondialisation. Le second avait gravée,
dans l’écorce, une foi communiste née dans des origines populaires et s’il
s’est distancié des horreurs de l’idéologie qui l’a biberonné, il n’a jamais
renié son extraction prolétaire.
Le
premier est mort il y a 46 ans. Le second, 25.
Avec
eux a trépassé ce qui fit la grandeur de leur art, politique pour le premier,
cinématographique et musical pour le second. Ne restent que des
« politichiens » sans culture ni rhétorique, des acteurs égarés
peinant à déclamer leurs dialogues d’une désespérante indigence et des
chansonniers faisant rimer « tu es formidable » avec « je suis
fort minable ».
« Oh!
l’automne, l’automne a fait mourir l’été. Dans le brouillard s’en vont deux
silhouettes grises », écrivait Guillaume Apollinaire, le génial poète,
auteur des Calligrammes et d’Alcools, lui qui fit couler l’amour comme la Seine
sous un pont parisien, avant de tomber pour la France, en 1918, deux jours avant
l’armistice. Un 9 novembre.
Résiste,
le vieux chêne.
Volent
les feuilles mortes.
Coule
l’amour sur la Seine.
Demeurent
les idées fortes.
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