Comme il m’est de temps en temps demandé des conseils de lecture, je
vous livre, pour l’été, une sélection de dix romans qui m’ont particulièrement
marqué pour des raisons diverses, mais qui ont en commun d’allier un style
élevé (voire révolutionnaire) et une certaine vision du monde.
1. Mémoires d’outre-tombe (François-René de Chateaubriand). « Je
veux être Chateaubriand ou rien », écrivait Victor Hugo – que je cite pour
me faire pardonner son absence de ce classement. On tient là forcément une
preuve que le Malouin est peut-être le plus grand écrivain de langue française
(et donc plus grand écrivain tout court) de l’histoire. Les Mémoires traversent
soixante années d’histoire de France, dont Chateaubriand finit par devenir un
acteur, et des paysages intemporels.
2. Le guépard (Giuseppe Tomasi di Lampedusa). Tout le monde garde en
mémoire le film de Luchino Visconti, avec –excusez du peu- Alain Delon, Claudia
Cardinale et Burt Lancaster campant les rôles principaux. Ce que beaucoup
ignorent, en revanche, c’est que le chef-d’œuvre est tiré d’un ouvrage d’une
beauté tout aussi incomparable. Le guépard se lit avec les cinq sens : la
vue se met en émoi avec les paysages ensoleillés de Sicile, l’odorat
s’émoustille des effluves de la végétation luxuriante, le goût se met en verve
à l’évocation des saveurs italiennes, le toucher ramène les protagonistes à la
réalité de la vie et l’ouïe distingue le bruit sourd de la révolution qui point. Les soubresauts révolutionnaires,
dans la Sicile de l’auteur, seront sans cesse écrasés, autant par la chaleur
que par la volonté que « tout change pour que rien ne change »,
maxime devenue aphorisme.
3. Voyage au bout de la nuit (Louis-Ferdinand Céline). Que dire encore
de Céline qui ne fût déjà dit ? Qu’il fut un écrivain génial et
révolutionnaire dans le style. Qu’il fut un salaud par son antisémitisme. Qu’il
fut probablement un type bizarre qui se raconte roman après roman. C’est avec
Voyage au bout de la nuit que j’ai renoué avec la littérature –après des années
à lire des essais-, de quoi me faire écrire, tels les premiers mots du Voyage :
« Ca a débuté comme ça… »
4. Le désespéré (Léon Bloy). On aura rarement lu roman plus cruel pour
les contemporains d’un auteur. Mais pour taillader à peu près tout le monde, dont
Guy de Maupassant (Gilles de Vaudoré dans le roman), il faut, forcément, du
style. Beaucoup de style. Heureusement, Léon Bloy en avait à l’excès, en plus
d’un vocabulaire impressionnant (gardez donc un dictionnaire à portée de main !).
Le personnage de Caïn Marchenoir,
décalque de l’auteur, est un des premiers flingueurs du monde des lettres.
5. Germinal (Emile Zola). La plongée dans un univers noir et sombre
(presque l’antithèse du monde coloré du Guépard) des corons et des mines aura
été, paradoxalement pour un homme de droite comme moi, une de mes premières
portes d’entrée avec, certes la littérature, mais aussi la politique.
6. Kaputt (Curzio Malaparte). A-t-on lu roman plus jouissif que Kaputt
du trop méconnu Malaparte ? Se situant quelque part entre le reportage de
guerre, l’essai brutal et cynique et le
burlesque, l’auteur dont la maison servit de décor à Truffaut pour Le Mépris
(avec la sublime Bardot) livre une œuvre sans complaisance dans laquelle il traîne
le lecteur dans les dîners mondains et les pogroms… On y retrouve le cruel Ante
Pavelic, dictateur croate, conservant les yeux de ses victimes dans un bocal.
7. Les trois mousquetaires (Alexandre Dumas). Denis Tillinac –un des
rares écrivains contemporains qui recueille mes suffrages- écrivait qu’on ne
peut être de gauche après avoir lu l’œuvre majeure d’Alexandre Dumas. Ode à
l’amitié, placée au-dessus de toute cause, retour à une période où l’héroïsme
n’était pas un vain mot, chef d’œuvre absolu, Les trois mousquetaires, en
réalité quatre, nous offrent une panoplie de personnalités et de situations qui
ont fondu ce roman picaresque dans le roman national français.
8. Du côté de chez Swann (Marcel Proust). Il est souvent dit à propos
de Marcel Proust qu’il est, avec Céline, le grand génie littéraire du XXe
siècle –j’ajouterais pour ma part que les Hussards tenaient également du génie.
L’auteur de A la recherche du temps perdu, pourtant, n’est pas la porte
d’entrée la plus aisée dans la littérature –il m’a fallu plusieurs années entre
la première prise en main et l’achèvement du roman. Rares sont les auteurs,
pourtant, qui purent décrire, avec une telle perfection les sentiments humains.
9. Les déracinés (Maurice Barrès).
Rédigé au XIXe siècle, Les déracinés sont probablement davantage
d’actualité aujourd’hui qu’ils ne le furent à leur parution. On suit, tout au
long du roman, le sort, tantôt brillant, tantôt tragique, de jeunes Lorrains
arrachés à leur enracinement pour « monter sur » Paris, avec des
fortunes diverses. L’ouvrage est une ode
à l’enracinement, à la terre des ancêtres et au drapeau contre
l’universalisme destructeur incarné par leur professeur.
10. Le peuple d’en bas (Jack London). Il s’agit ici d’une véritable
plongée dans le peuple pauvre, très pauvre, de Londres où on survit –et encore-
plus qu’on ne vit. Dans les bas-fonds de la capitale anglaise, London, sapé
comme un clochard, scrute, observe et décrit avec le génie qu’on lui a connu
dans d’autres romans.
En bonus, parce que j’ai hésité à les glisser :
- Notre jeunesse de l’immense Charles Péguy
- Le camp des saints du prophétique Jean Raspail
- La mare au diable qui nous permet de rappeler qu’avant d’être
récupérée par le cause féministe, George Sand était un immense écrivain
- Le hussard bleu de Roger Nimier
- L’insoutenable légèreté de l’être
de Milan Kundera
- Le zéro et l’infini d’Arthur Koestler
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