Nos églises se vident et se meurent sous le regard indifférent des foules
plongées dans le fracas de la vie sans plus prendre le temps de la
contemplation et du recueillement. Elles sont en péril et pourtant si
essentielles au cœur de nos paysages qu’elles couvrent de leur manteau
rappelant le cheminement commun des siècles. L’urgence est aujourd’hui de
sauver ces joyaux historiques et de leur redonner lustre et grandeur.
Je ne suis pourtant pas croyant.
Malheureusement, pourrais-je ajouter, tant la
succession des âges et le temps qui file en se défilant serait plus commode à
appréhender avec l'espoir secret d'une vie après la mort, d’une éternité dans
l’au-delà qui prolongerait la finitude de l’ici-bas, d’une félicité céleste
venant soulager les épreuves terrestres.
Mais à l'inverse des rescapés de l'époque qui prétendent avoir la foi sans se rendre à l'église – les fameux croyants non pratiquants recensés par les études sociologiques -, je ne manque jamais de visiter les lieux de culte lors de mes pérégrinations et il m'arrive, quoi que très irrégulièrement, de participer à l'office dominical. D’être pratiquant donc, sans être croyant.
Pénétrer dans
une église permet pêle-mêle d’endosser les habits valeureux du chevalier patrimonial,
de faire corps avec une histoire malmenée et d’enlacer nos valeurs
multiséculaires, de renouer avec une spiritualité engloutie dans le capitalisme :
s’enivrer de l’encens, plutôt que s'abreuver de séries abrutissantes sur
Netflix – et son
mélange d'américanisation et de progressisme sociétal -, c'est renouer avec la
civilisation européenne et se souvenir que la religion catholique a, comme le
récit homérique, façonné notre identité.
On croise d’ailleurs dans les travées des églises les vrais rebelles de l’époque. Entre les cheveux blanchis par l'âge, preuve inexorable que l'Église se meurt, les quelques coiffures juvéniles rappellent avec espoir qu'il existe une jeunesse désireuse d’effacer son moi égoïste au profit d'une croyance qui la dépasse, voulant renouer avec la fraternité et à la recherche d’une mystique improbable pour l’époque.
De la petite église de village aux cathédrales qui tutoient les cieux, chacune révèle le génie architectural et presque toutes sont une ode à la beauté - la même qui, selon le bon mot de l’architecte Rudy Ricciotti, s'est exilée -, à cette esthétique sacrifiée sur l'autel de l'utilité - une action est désormais valorisée si elle rapporte -, à cette magnificence si brillamment couchée sur papier pour offrir quelques-uns des chefs-d’œuvre de notre littérature.
Entre toutes, la Cathédrale Saints-Michel-et-Gudule jouit d’une aura particulière en surplombant fièrement Bruxelles et en jetant sur la cité son regard majestueux et bienveillant. En son sein furent célébrés bien des événements ayant marqué l’histoire de notre pays. Dans les autres villes du Royaume, les lieux de culte sont autant de joyaux touristiques : Notre-Dame d’Anvers fait resplendir l’art gothique, Saint-Bavo à Gand offre aux visiteurs le triptyque de l’agneau mystique, l’Eglise Saint-Loup à Namur est un chef d’œuvre baroque. Et puis, il y a les églises chères à nos cœurs, celles de nos communes et de nos villages, dont celle qui se tient à quelques lieues de chez moi, dont j’aperçois la modeste flèche depuis le bureau où j’écris ces lignes et dont le carillon me rappelle l’écoulement des heures et du temps.
Ailleurs en Europe, le même spectacle s’offre à nos yeux. Nous nous en voudrions de ne pas citer, et que l’on nous pardonne les
belles oubliées, Notre-Dame de la Garde à Marseille qui célèbre les marins
engloutis par les flots et dont la nef s’ouvre sur les océans, la grandiose
Santa Maria Del Fiore sise dans le cœur historique de Florence, la fleurdelisée
Sainte-Chapelle et ses vitraux dont le reflet évoque la Jérusalem céleste, la
cathédrale gothique de Rouen que Monet a sublimée par ses toiles, la
néo-byzantine Notre-Dame de Fourvière, juchée
sur la colline surplombant Lyon – ma ville de cœur- et qui jette sur la cité
léonine ses quatre valeurs cardinales : justice, force, prudence et
tempérance. Lorsqu’une autre église mariale, Notre-Dame à Paris,
célébrée par Victor Hugo, s’est consumée, il s’est trouvé des esprits chagrins
pour dénoncer l’afflux de dons pour sauver la cathédrale plutôt que les
sans-abri : c’est que l’église, à défaut des hommes, traverse les siècles
et leur est bien supérieure.
Pénétrer dans une église sous
le regard des gargouilles et se perdre dans les absidioles, écouter l’officiant
réciter Saint-Luc et les communiants reprendre le « Notre Père »,
admirer les vitraux et écouter les orgues jouer leurs airs intemporels, admirer
l’art chrétien si fécond et échanger un regard tantôt complice tantôt
compassionnel avec son voisin, c’est ouvrir une parenthèse dans le vacarme
ininterrompu du monde. Et la refermer aussitôt pour se replonger dans la vie.
Aimer les églises, plus que
l’Eglise, c’est aimer notre patrimoine, notre histoire et notre identité.
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