Nous voilà donc, depuis bientôt un an, quasiment assignés à résidence, cette mise en boîte collective devant nous épargner une autre, plus définitive. Si nous avons accepté de bon gré le confinement initial, tout en maugréant contre l'absence incompréhensible de masques dans un pays développé, nous peinons à nous soumettre aux restrictions actuelles. Tandis que l'on est en droit d'espérer que l'après-covid nous permette de recouvrer nos libertés, toutes nos libertés, nous devons également nous interroger sur le sens à donner à celles-ci, en faisant appel à la philosophie, grande oubliée de l'époque que nous vivons, prompte à vivre selon l'avis monopolistique des "experts".
Avec la persistance de la crise sanitaire, deux camps se figent, assénant leurs vérités, sans entre-deux, selon une pensée binaire empêchant de comprendre les subtilités de la loi et de la règle, nous cantonnant dans leur application ou leur rejet stricts sans plus en comprendre l’esprit : il y a, d'un côté, les bons élèves qui docilement suivent les instructions gouvernementales et les recommandations des experts ; de l'autre, les rebelles qui se méfient de la parole publique. Le terrain de jeu, ou de guerre - puisque c'est en celle-ci que nous serions plongés selon les mots infantiles d’un président pour désigner quelque chose de viril -, s’étale le long des fils d’actualité de nos réseaux sociaux où il n'est plus guère de goût pour le débat et la nuance.
Mais ne nous trompons pas de
combat. L'opportunité du confinement pour tous et du couvre-feu généralisé
semble certes discutable, surtout que les plus jeunes meurent très peu de la
covid, nous ne sommes pas pour autant entrés en dictature parce que nous devons
rejoindre nos pénates avant 22 heures ou minuit. Le masque, ce rectangle bleu
ciel sur liseré blanc, telle une oeuvre d'art moderne et de mauvais goût, a
beau être l'allégorie la plus aboutie du bâillonnement, il reste probablement
fort utile - et quand bien même n'est-on pas certain qu'il le soit, autant ne
pas courir le risque de contaminer autrui. On peut s'interroger sur
l'opportunité de se faire vacciner ou non, il s'agit de la manière la plus
rapide et efficace de se débarrasser du virus.
En réalité, nos réticences
témoignent de notre difficulté à nous conformer à la moindre règle depuis que
s’est instillé dans le corps social le refus de toute forme d’autorité ou de
norme ainsi que l'incapacité à dépasser notre individualisme pour faire
société, à comprendre qu'il n'y a pas de liberté sans ordre ni cadre. C’est
ainsi que la résistance croissante à enseigner et à s’approprier le civisme, la
politesse, le sens du sacrifice, la culture commune, la responsabilité, la
discipline, le patriotisme, la ponctualité, le devoir ou le don de soi nous a
conduits à ne plus accepter la moindre concession à nos plaisirs égoïstes et
souvent futiles.
D'ailleurs, qu'avons-nous fait,
individuellement et collectivement, de nos si chères libertés ? Les réponses
sur la définition qu'on leur donne sont souvent décevantes : sortir, faire la fête,
boire un verre en terrasse, partir en vacances... Et si ces plaisirs qui nous
sont ôtés ajoutent à la douceur de la vie, ils n'en sont néanmoins pas vitaux.
A ce titre, face aux naïfs qui voyaient l'opportunité d'un changement radical
de paradigme, la crise n'a pas vu
l'émergence d'un nouveau monde, mais un déclin plus accéléré de
l'ancien. Trop occupés à nous positionner sur un sujet que ne nous ne
maîtrisons guère, en sombrant, dans les cas extrêmes, dans des théories du
complot fantaisistes, nous n'avons que trop peu renoué avec la grande culture,
la spiritualité, la nature charnelle, nos semblables, l’effort physique et
intellectuel.
La crise actuelle nous rappelle
pourtant que, si nous ne nous battons pas pour elles, les libertés et la démocratie
sont rapidement menacées. Sur ce front, bien des choses devraient nous
inquiéter : le droit dont s’arrogent des multinationales de censurer (atteinte
aux droits bien plus dangereuse, à terme, que l'irruption de 1000 excités dans
le Capitole), le technocratisme - c'est-à-dire lorsque des experts non élus,
mais souvent non neutres politiquement, se substituent aux représentants que le
peuple s'est choisi -, la décapitation d'un professeur d'histoire en France, le
remplacement des penseurs par les censeurs, et toutes les pensées - souvent
originellement nobles - versant dans l'hystérie jusque dans l'intolérance:
féminisme, antiracisme, écologisme, hygiénisme, autant de synonymes du
politiquement correct auquel il importe de se soumettre sous peine d'ostracisation
(de "cancel culture" pour parler moderne).
Nous devrons donc être
intransigeants, une fois sortis de cette situation, à ne pas sombrer dans le
confinement de nos idées, de nos faits et de nos gestes. Les mesures
d'exception ne peuvent être pérennisées au-delà de la crise sanitaire : nous
devrons pouvoir à nouveau circuler, nous enlacer et nous embrasser, afficher
nos opinions, blasphémer, explorer les sentiers non encore battus de
l'existence.... Nous devrons également être en mesure, dans le cadre
démocratique, de demander des comptes aux gouvernants, dans un pays où la
structure étatique a certainement joué dans le nombre de morts, un des plus
élevés du monde. Il sera finalement impératif d'interroger le modèle
mondialiste qui est assurément un vecteur du virus et de désordres.
De notre liberté, il nous faudra
faire quelque chose qui vaille la peine d'être défendue, la mettre au service
du collectif, l'inscrire dans le cheminement du temps long, la parer
d'esthétique et de noblesse, la choyer au prix de nos efforts. Comme en toute
chose, ce sera à chacun d'entre nous à trouver le juste équilibre entre
plaisirs individuels et responsabilité collective, c'est-à-dire entre le
"moi" et le "nous", entre temps court et temps immémoriaux,
entre volonté de vivre pleinement et accepter philosophiquement que nous sommes
mortels - car il y a là une des leçons fondamentales de la crise : nous avons
désappris à vivre avec la mort et semblons toujours ignorer qu'aucun individu,
ni d'ailleurs aucune civilisation, ne sont éternels.
Il n'y a pas de liberté réelle
si on ne l'enrobe de grandeur et de noblesse : ce n'est qu'ainsi parée qu'elle
nous permet de vivre de façon intense. Avec masque, le temps qu'il faudra, mais
sans bâillon ni chaînes.
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