vendredi 1 janvier 2016

Du devoir de réarmer moralement les individus

Des droits, encore des droits, toujours des droits, rien que des droits. L’homme moderne sait que leur champ d’application est désormais infini. Le droit à bénéficier d’allocations diverses. Le droit au mariage pour tous et à l’adoption. Le droit opposable au logement. Le droit de jouir sans entraves. Le droit de souiller le drapeau national. Le droit de ne rien faire. A ne plus célébrer qu’eux, au détriment des devoirs, ravalés au rang de vilain mot de la langue de Molière, se crée un déséquilibre sapant les fondements de la société.

Au sortir de la seconde guerre mondiale, qui avait vu l’homme porter la barbarie à son acmé, la déclaration universelle des Droits de l’Homme, signée en grande pompe dans les couloirs du palais de Chaillot en 1948, symbolisait une avancée heureuse dans le combat intemporel pour la dignité humaine. Elle aura eu pour contrepartie l’entrée progressive dans une ère nouvelle pour l’homme qui allait également signifier son désarmement moral.  Celui-ci a eu pour corolaire l’assistanat généralisé, l’ignorance assumée, l’abandon des rôles sociaux (hommes-femmes, parents-enfants, citoyens…), la culture de l’excuse, le passage de l’immoralisme (et de la transgression plus ou moins tolérée) à l’amoralisme (absence de toute morale), le renversement des normes et des hiérarchies, le rejet de tout référent (nation, famille…) et par dessus tout la déresponsabilisation individuelle et collective.


Hegel avait pourtant adressé une mise en garde, ayant tout de la vertu prophétique, deux siècles plus tôt, dans sa Propédeutique philosophique : « Dans la mesure où l'homme allègue qu'il a été entraîné par des circonstances et des excitations, il entend par là rejeter, pour ainsi dire, hors de lui-même sa propre conduite, mais ainsi il se réduit tout simplement à l'état d'être non libre ou naturel, alors que sa conduite, en vérité, est toujours sienne, non celle d'un autre ni l'effet de quelque chose qui existe hors de lui. Les circonstances ou mobiles n'ont jamais sur l'homme que le pouvoir qu'il leur accorde lui-même. »

Les politiques progressistes menées depuis plusieurs décennies ont fini par diluer la responsabilité individuelle et permettre ainsi de justifier toute errance individuelle –du simple renoncement à prendre son destin en mains à l’acte le plus délictueux- au nom de la société corruptrice. Il en découle que le contrat social, théorisé peu après le mitan du XVIIIe siècle par Jean-Jacques Rousseau, a perdu de sa symbolique pour finir par tomber en désuétude : non seulement il n’est plus d’hommes libres pour le réaffirmer, mais ils sont de plus en plus nombreux à s’écarter du sacro-saint contrat. A l’heure où les incivilités sont ordinaires et où l’on peut cracher aussi bien son chewing-gum dans la rue que son ignorance dans un débat, sans crainte d’être sanctionné ou de passer par un idiot, le sursaut civilisationnel est indispensable. 
  
Dans Paris et Rome, Victor Hugo écrivait brillamment que « tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité ». Le problème survient lorsque, comme aujourd’hui, tout ce qui va dans le sens de la libéralisation tend à déresponsabiliser, signe que le mouvement perpétuel de balancier entre les droits et les devoirs a fini par se figer du côté des premiers. La récréation collective, entamée en 1968 sur les barricades du Quartier latin, et poursuivie un an plus tard au cours de la grand-messe de Woodstock, dans les volutes de marijuana, doit aujourd’hui entendre sonner sa fin. Sans un retour à l’ordre –car lui, et lui seul garantit in fine la liberté, selon Charles Péguy-, nos sociétés finiront par s’effondrer dans le chaos et la soumission.

Les Etats devront initier le mouvement de rééquilibrage. Le défi est de taille alors qu’ils ont, jusqu’à présent, renoncé à défendre leurs frontières morales autant que territoriales et laissent par ce simple abandon germer en leur sein les ferments de la dissolution qui les mènera à la faillite spirituelle. Contraints d’agir sur les ruines d’une civilisation décadente, ils devront réarmer moralement les citoyens en promouvant une éducation nivelant par le haut –un élitisme populaire et promouvant l’Intelligence-, instaurer de nouvelles balises, redonner goût au patriotisme, mettre fin aux politiques encourageant l’assistanat, abandonner leurs velléités permissives, cesser toute politique sapant les valeurs multiséculaires autour desquelles les individus libres peuvent communier.


« C’est le devoir qui crée le droit et non le droit qui crée le devoir », jugeait Chateaubriand. Et si l’on se met à rêver de l’écriture hypothétique d’une déclaration des devoirs du citoyen, la remise de ces derniers au cœur du débat est le préalable indispensable au réarmement moral qui, seul, finira par sortir nos pays et, partant de là notre civilisation, de l’ornière dans laquelle ils se trouvent. Les individus redevenus libres pourront, à cette unique condition, réaffirmer le contrat social qui les unit et, ensemble, bâtir une société prospère.

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