samedi 6 avril 2019

De l'urgence de renouer avec la culture générale

Afin de tout savoir - quelle belle ambition ! quel fol orgueil ! -, Pic de la Mirandole, épris de textes classiques autant qu’exalté par la moindre découverte scientifique, cheminait de ville en ville, au cœur de notre civilisation, afin d’assouvir son immarcescible soif de connaissances : l’humaniste vibrait ainsi pour une réplique d’Eschyle, cheminait avec Alexandre Le Grand, parcourait le monde avec Ptolémée. Avec l’omniscience comme viatique et un caractère affable, le bourlingueur éclairait de ses lumières tant Charles VIII que Laurent de Médicis.

Plus modestement, et avec des résultats forcément moins fringants, j’ai, depuis longtemps, tenté de faire mien l’ambitieux crédo de Pic de la Mirandole, en me confrontant aux différentes disciplines du savoir : j’aime ainsi guerroyer avec Achille et voyager avec Ulysse, me mettre dans la peau de l’empereur en contrebas des pyramides, voguer avec Baudelaire ou Aragon dont un seul ver vaut toute la littérature contemporaine, connaître le corps humain pour mieux en maîtriser les réactions. Il n’existe, malheureusement plus de roi, ni de prince à instruire.  


La culture, après tout, serait, selon le bon mot erronément attribué à Edouard Herriot, « ce qui reste quand on a tout oublié ». D’elle, il ne reste pourtant plus grand-chose.  Le grand drame de notre époque, qui a fini par tout niveler, y compris la connaissance, est qu’elle n’apporte d’ailleurs plus guère d’avantage à quiconque possède un bagage culturel : pour briller en société, trouver un emploi, s’élever socialement, séduire un fille (ou, pour une fille, séduire un homme), elle devient -un comble !- presque un handicap, plus qu’un viatique un fardeau, une malformation intellectuelle. 

Je me souviens ainsi été rabroué, presque moqué, pour connaître l’histoire la révolution française. La sentence infligée fut presque définitive : « à quoi cela te sert de connaître ça ? » La culture générale est justement l’agrégat de connaissances qui soudent un peuple, une nation, une civilisation et qui, en son nom, permet de tisser le lien entre les générations et d’être sûr de soi au moment d’être confronté à d’autres cultures ou modes de pensée. Difficilement concevable, en effet, dans une société atomisée composée d’individus rivés à leur smartphone pour y poster leur dégaîne vulgaire en selfie. 

Effectuez le test et vous serez surpris : qui peut encore, aujourd’hui, citer le nom de quelques héros de Victor Hugo ? Ou même situer l’auteur lui-même sur une ligne du temps ? Qui s’émeut encore devant une toile de Jacques-Louis David, de Camille Corot ou même de Paul Cézanne, ces illustres inconnus ? Qui peut encore placer des pays au nom pourtant familiers sur une carte ? En lieu et place, les quelques vagues connaissances communes s’articulent autour des séries télévisées – un des fléaux de l’époque- en vogue sur Netflix, des émissions qui servent « à vider la tête » alors qu’il faudrait se remplir urgemment le cerveau, ou du football de Ronaldo et de Messi.

La culture, c’est comme la confiture, rétorque-t-on souvent à tout hâbleur se vantant de connaître une capitale, un héros de la mythologie, un tableau de maître ou une date de l’histoire. Au moins on en a, au plus on l’étale. Dans nos contrées, le peu de confiture qui reste au fond du pot ne suffit souvent plus à couvrir l’entièreté de la tartine et l’on peut prédire que si la culture générale fait office de nourriture terrestre, la famine guette. Il est moins une : notre civilisation meurt de faim et donc de fin.

En sauvant l’une, nous viendrons à la rescousse de l’autre. Seul hic, la culture se mérite. Elle  « ne s’hérite pas, elle se conquiert », selon Malraux. Et peu importe si, pour l’excellent Sylvain Tesson, un des rares écrivains modernes à écrire avec brio , « être trop cultivé pose le problème de vivre avec un brouhaha dans la tête. ». En mon temps, pourtant guère éloigné, l’école nous apprenait les « humanités » : c’est ainsi que nous nommions les secondaires, elles-mêmes ponctuées par l’année de « rhétorique », discipline nécessitant elle-même maintes connaissances. Une des mesures à prendre d’urgence serait d’instituer un test de connaissances générale en fin de secondaires. 

A l’heure où l’orthographe et la syntaxe - autres marqueurs de nos connaissances, linguistiques dans ce cas précis- se perdent, où les tests internationaux confirment le recul de notre enseignement, où l’ignorance fait presque office de vertu, l’heure doit être à la revalorisation des connaissances afin de faire corps avec la culture et, partant de là, de notre civilisation.

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