En plein coeur d'une époque qui pèche trop souvent par défaut d'élégance, Wimbledon est l'un des tout derniers bastions où la tradition résiste à la modernité. A l’écart d'un monde devenu fou, le All England Club, antre de la compétition, est un havre de paix où les balles que l'on s'échange sont jaunes et n'ont d'autre objectif que celui de tuer les illusions de l'adversaire ; rétif à la déconstruction de tous les repères, le tournoi londonien résiste aux progressistes zélés ; comme pour défier le temps qui défile, la quinzaine pose son ancre sur la vie.
Les tenues blanches tranchent avec les accoutrements criards de l'époque et, dans leurs uniformes immaculés, les joueurs rivalisent d'une classe qu'aucun défilé de mode sans doute n'égalera : a-t-on d'ailleurs jamais vu homme plus élégant que Roger Federer entrant sur le court en costume nivéen ou - pardonnez-moi ce jugement peu dans l'esprit du temps - femme plus belle que Maria Sharapova dans sa robe blanche ? Les rythmes binaires de la musique moderne sont remplacés par le bruit sourd des échanges qui perturbent à peine le flegme des spectateurs. La chaleur pose son dôme en plein coeur d'un été à propos duquel on pense encore naïvement qu'à l'instar de l'enfance ou des moments heureux, il ne terminera jamais.
Wimbledon a accouché des plus grands champions de l'histoire du jeu : Fred Perry, avant d'être la marque prisée par les mods et la jeunesse politisée, fut pendant plusieurs décennies le dernier joueur de tennis britannique à inscrire son nom au palmarès avant qu'Andy Murray ne rectifiât l'anomalie ; Stefan Edberg et Boum Boum Becker, l'eau et le feu, les deux héros de mon enfance, jouèrent trois finales consécutives au tournant des années 90 ; l'esthète Roger coiffa les lauriers à huit reprises, une fois de plus que le plus grand joueur de tous les temps, Novak Djokovic, et que Pete Sampras ; chez les femmes, Martina Navratilova vint gagner au filet neuf éditions, Steffi Graff et Serena Williams raflèrent la mise à sept reprises, la française Suzanne Lenglen remporta le dernier de ses six titres il y a tout juste un siècle.
Si Wimbledon est le tournoi des traditions, certaines se dérobent toutefois. Pendant longtemps, le service-volée a dicté le rythme des rencontres. Ce coup exercé à la hussarde est le mariage de la puissance et de la finesse, l’esthétisme des guerriers, la preuve que la virilité est une question d’audace plus que de gros coups assénés à la force du bras ; cet enchaînement est l’art des funambules et des voltigeurs ; il est une intrusion aux confins du territoire adverse que l’on pourrait, si l’on n’y prenait garde, confondre avec une déclaration de guerre ; il est la stratégie des impatients qui veulent finir en deux coups là où d’autres usent et abusent des préliminaires. Désormais, prudence oblige, on reste le plus souvent au fond du court.
Wimbledon restera toutefois Wimbledon tant que les crépuscules de début d’été darderont leurs derniers rayons sur le Central Court, que l'anglais de la BBC nous paraîtra aisé à comprendre, que les anglais mangeront des fraises accompagnées de crème dans les gradins et que le gazon, martyrisé par le martèlement des pas, finira, comme toutes les chevelures, par se clairsemer au fil de la quinzaine. A la fin de celle-ci, cette année comme toutes les précédentes, un peu de l'été s'en sera allé, les jours et nos vies auront perdu de leur longueur et de nouveaux champions auront inscrit pour l'éternité leur nom à l'auguste palmarès.
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