dimanche 21 janvier 2024

Et si c'était le talent que la gauche reprochait à Sylvain Tesson ?

Six cents personnalités du monde de la culture,  pour la plupart inconnues, y compris pour les gens ayant un attrait pour les arts et la littérature, viennent de signer une tribune dans Libération - forcément - afin de s'opposer au parrainage du Printemps des poètes par Sylvain Tesson. Le tort de l'un des écrivains les plus talentueux de sa génération ? Banaliser l'extrême droite ! 

L'auteur serait donc un réactionnaire, catalogué dans un pamphlet récent aux côtés de deux autres infréquentables, Michel Houellebecq et Yann Moix. Il eut le tort de préfacer une réédition du Camp des Saints, ouvrage visionnaire du regretté Jean Raspail qui, en 1973, prophétisait le débarquement, sur les plages françaises, d'un million de miséreux. Il a beaucoup lu, des auteurs de droite et de gauche ; mais surtout, pour ses contempteurs, il cite Maurice Barrès. Il s'est même un jour rendu à La nouvelle librairie et a discouru sur Radio Courtoisie. N'en jetez plus, la coupe est pleine, débordant de que la gauche intolérante ne voudrait voir.


Et si c'était, au bout du compte, le talent que les sectateurs woke lui reprochent ? La marche de Sylvain Tesson est guidée par le goût de l'aventure et du risque, la recherche du merveilleux là où il se dévoile encore et le penchant pour la solitude bercée par les soleils couchants. Sa plume est trempée dans les mers chaudes et froides du monde, les lacs qui dévoilent leurs mystères dans la brume et les fleuves qui serpentent quand ils ne font office de frontière. 

En amont de ses livres toujours attendus, l'épopée. La vraie, celle au cours de laquelle l'aventurier prend des risques en plantant son piolet dans la paroi, en affrontant la nature parfois hostile, en pénétrant dans des contrées où la neige finit par tout confondre. Sylvain Tesson eut la folie géniale de reproduire la retraite napoléonienne de Russie en… side-car, de s’isoler six mois dans les forêts que l’on devine inhospitalières de Sibérie, de vivre son Odyssée et de la raconter dans Un été avec Homère ou, plus modestement, d’arpenter les petits chemins noirs de la France. 

Mieux, il est aussi bon orateur qu’écrivain (ce qui est rare !). Le compliment déplaira peut-être à l'homme de lettres qu'il est. Il suffit pourtant d'écouter disserter ce nomade fasciné par la sédimentation, ce sans domicile fixe ancrant chacun de ses pas dans la terre ferme, ce fieffé réactionnaire qui a pour fief la littérature, pour appréhender l'étendue de son éloquence.

Le wokisme est un égalitarisme comme les autres, au nom duquel chaque tête qui dépasse doit être tranchée et chaque déviant enchaîné sur un lit de Procuste. Il est une affaire de meutes, forcément veules et lâches, souvent lancéee à la poursuite de ceux que le génie isole.  "Les hommes déprécient ce qu'ils ne peuvent comprendre", écrivait Goethe. Les adeptes de la cancel culture, munis des ciseaux d'Anastasie, n'ont pas compris que, plus encore que par l'imposition de leur moraline, leur action est dictée par leur incapacité à atteindre le talent des autres.

(tribune rédigée pour Causeur, 20 janvier 2024)


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