lundi 15 avril 2024

"Oui, mais les impressionnistes..."

Méprisés, vilipendés, humiliés de leur vivant, les impressionnistes ont connu une gloire posthume en inscrivant leurs oeuvres dans le patrimoine artistique français. Tandis qu'une exposition immersive ambitionne, au musée d'Orsay, de reproduire, peu ou prou, l'ambiance de leur première manifestation commune il y a exactement 150 ans, nous ne pouvons passer sous silence que leur génie sert aujourd'hui de caution à tout artiste faisant passer ses vagues inspirations pour de l'art. Tout le monde n'a pourtant pas pour vocation à inscrire son coup de pinceau dans le cheminement des siècles.

Replongeons-nous dans la France de 1874, sa Troisième République encore balbutiante, ses guinguettes où la bonne société venait s'encanailler et ses couleurs chatoyantes. Depuis une dizaine d'années déjà, les "refusés" exposaient leurs tableaux en marge du très officiel Salon qui ouvrait bien des portes à ceux qui eurent l'honneur d'apparaître au catalogue. L'art était en pleine évolution et foisonnait de courants divers : à Barbizon, Corot, Millet et Daubigny peignaient déjà les champs, les forêts et les clochers depuis quelques décennies ; aux Batignolles, quelques artistes, immortalisés par Fantin-Latour, firent évoluer leur art à défaut de vouloir le révolutionner. Ceux-ci exposeront finalement leurs oeuvres boulevard des Capucines, dans l'atelier de Nadar, dont l'art - la photographie - finira aussi par exploser.

La critique fut sans ménagement. Le journaliste Louis Leroy écrivit ainsi dans Le Charivari, à propos du tableau Impression, soleil levant de Claude Monet : "Impression, j'en étais sûr. Je me disais aussi, puisque je suis aussi impressionné, il doit y avoir de l'impression là-dedans." Le ricanement bête et méchant avait déjà droit de cité.
A l'exception de Manet, qui restait à l'écart des manifestations collectives de cette avant-garde, quelques-uns des plus grands peintres qui resteraient à la postérité y exposèrent leurs toiles : Paul Cézanne, Edgar Degas, Camille Pissarro et Berthe Morisot... Nous nous en voudrions de ne pas citer l'écrivain Emile Zola, qui fit beaucoup pour la renommée de ce groupe d'artistes encore relégué à la marginalité, et Paul Durand-Ruel, marchand d'art qui les sortit de l'anonymat.

Cent cinquante ans plus tard, si les impressionnistes sont unanimement célébrés, se pose une question : parmi les artistes actuels, lequel sera encore reconnu dans un siècle et demi ? En ligne de mire, les peintres et sculpteurs que l'on rattache à l'art contemporain, notamment ceux qui exposent sans fard un homard, un vagin géant, une construction en bois, une cuvette, des toiles blanches ou un graffiti.

"Oui, mais les impressionnistes...", entend-on déjà rétorquer leurs habituels thuriféraires, "eux non plus ne furent reconnus de leur vivant". Peut-être sommes-nous des béotiens, incapables de comprendre et de nous émouvoir ? Il n'empêche, avec toute la volonté du monde, il nous semble impossible de comparer Le Bernin et Jeff Koons, Donatello et Anish Kapoor, Canova et Arne Quinze, Jacques-Louis David et Malévitch ou Eugène Boudin et Benjamin Vautier (dit Ben). On ne voit guère d'ailleurs comment le cheminement des siècles pourrait infléchir le jugement.  

En filigranes, se pose la question de la beauté et du sublime - qu'Edmund Burke différenciait -, des émotions suscitées par une oeuvre et de son inscription dans le temps long qui seuls devraient servir de critère pour définir l'art. Or, les productions contemporaines relèvent le plus souvent de l'opération marketing. Signe qui ne trompe pas, elles sont souvent éphémères, comme les emballages de Christo ou la toile Love is in the bin de Banksy, signe sans doute que ce pseudo-art est obsolescent.

En ces temps anxiogènes et peu régénérateurs en matière d'art, peut-être vaut-il mieux se replonger dans les plus belles oeuvres passées, notamment celles des impressionnistes ? Citons tout à trac, parmi celles qui furent exposées en 1874 :  Moderne Olympia (Cézanne), Coquelicots (Monet), Le Berceau (Morisot) ou Classe de danse (Degas).

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